Jamais je n’aurais pensé faire des miracles.

Lors d’une fin de saison sur le Lac Champlain, Nicole et moi avions croisé un vieux couple de pasteurs anglicans. Mme avait fait de la voile quand elle était jeune. Monsieur était aveugle. Ils nous ont invités d’aller les voir à leur maison sur les rives du lac. Jolie maison qu’ils nous font visiter. Nous fraternisons. Ce sont des personnes âgées. L’idée me vint de les amener à la voile. « Demain, ils annoncent du beau temps et une brise légère, on vous amène naviguer ». Ils étaient radieux. Le lendemain matin je vais les chercher. J’étais persuadé que je pourrais donner la roue à monsieur, même s'il était aveugle : le tactile, l’audible…
Il fallait que je sois entièrement attentif. La brise était fraîche, mais légère, mais on pouvait la sentir au visage : il réussirait à évaluer l’angle, je lui disais que le voilier réagissait, s’il s’approchait trop près du vent. Je lui signalais qu’on pouvait entendre la voile faseyer : un bruit de frottement de tissus par le faseyement. Il n’y avait qu’un petit exercice à exécuter, il s’agissait juste de travailler la roue jusqu’à ce que le bruit cesse. Un jeu soutenu avec le bruit et la sensation du vent sur la peau. Il sentait une différence d’angle : s’il percevait un vent de face, il fallait qu’il aille du côté où ça penchait. Il pouvait le sentir par son équilibre à cause de la gîte; quand il abattait, c’était plus délicat. Je lui disais de revenir plus près du vent. C’était extraordinaire de voir le sourire de cet homme : il pouvait piloter un voilier. Les remerciements d’une intensité exceptionnelle. J’avais réussi un petit miracle. Et combien d’autres durant ma vie.

Biographie de Louis charbonneau ..... http://www.voileevasion.qc.ca/voile_annees_cinquante.htm